All the way down # Vesper & Rhys

All the way down.

Personne ne gagnera à ce petit jeu: celui du chantage, de la destruction. Rhys avait abandonné l'idée même de se servir du passé de ses adversaires pour continuer à monter dans l'échelle sociale. Enfin, c'était surtout ce qu'il voulait faire croire au monde entier. Comme le fait qu'il avait changé. Qu'il était l'homme parfait. Il fallait savoir mentir pour devenir un politicien renommé. Heureusement qu'il était excellent dans ce domaine, comme tous les autres Hadley. Manipuler pour mieux régner, en voilà une devise qui lui collait manifestement bien à la peau. Et il en était fier. Pour une fois, Rhys avait l'esprit tranquille, il avait trouvé sa voie et aucune menace n'était en vue, le vrai paradis sur Terre.
Enfin, là encore, c'était ce qu'il croyait. Il n'aurait manifestement pas dû traîner au salon de thé, vraiment pas. Mais sur le moment, absorbé par sa lecture du journal, il n'avait clairement pas le temps, encore moins l'envie de regarder aux alentours. Le monde allait mal, la politique était encore une fois en danger. Décidément, les gens prenaient de sales habitudes: ils se confortaient tous à dire que les politiciens étaient coupables de tout ce qui ne tournait pas rond dans leur vie, de la vraie folie. Heureusement que Rhys était déterminé à monter au sommet pour changer cette vision de ce métier. Oui, il était ambitieux, peut être même sans pitié mais quand on était passé par ce qu'il avait vécu, cela devait constituer la normalité. Après tout, qui pouvait se vanter d'avoir tué, volé, trompé et trahi avant de finir à la tête de la ville? Personne. Rhys était certainement fou à lier mais là encore, c'était une histoire de famille.

Quoiqu'il en soit, Rhys plongea ses lèvres dans le breuvage anglais qu'il avait commandé dix minutes plus tôt. Absolument exquis. La paix qu'il avait tant recherché résidait dans ce simple endroit. Ce simple instant. Si seulement, il n'avait pas entendu la voix ô combien dérangeante d'un vieux souvenir et quel souvenir! Vesper. Cher Vesper. Il fallait avouer qu'ils s'entendaient à merveille auparavant, pas étonnant en vue de leurs activités respectives. Mais voilà, les choses avaient changé et Rhys espérait pouvoir enterrer son passé afin de pouvoir accéder à son rêve. Pour cela, il fallait pratiquer le zéro tolérance. Forcément, il avait eu envie de dévoiler au monde entier ce qui se tramait dans le business de la jeune femme mais il s'était avéré qu'elle ne se laisserait pas faire aussi facilement. Au final, il avait abandonné l'idée, pour se protéger de ce qu'elle pourrait faire. Et là voilà qui venait pointer le bout de son joli minois au moment même où Rhys venait de trouver la paix. Quelle ironie du sort.

"Oh tiens, quelle mauvaise surprise! Tu fais dans les salons de thé maintenant, plus les casinos? Quelle polyvalence."

Un sourire narquois s’étala sur le visage de Rhys, avant qu'il ne fasse semblant de remettre le nez dans son journal. La meilleure attaque, c'était sûrement l'indifférence. Certainement même. Si seulement son passé pouvait bien se la fermer pendant une minute... Mais, Rhys Hadley n'obtenait jamais ce qu'elle souhaitait. En bon Hadley qu'il était justement.

All the way down.

Vesper était clairement faite du même matériau que Rhys. Il le savait et autant, auparavant, il adorait ce simple fait autant aujourd'hui, cela l'exaspérait. Cette femme n'avait pas de limite, elle avait une personnalité forte et gagner contre elle avait des airs de parcours du combattant. Il ne fallait pas montrer de faille, ne jamais ciller et plus ou moins, toujours entrer dans son jeu. C'était fatigant pour Rhys. Bien trop fatigant. Après tout, en choisissant de changer de carrière, il avait conscience que les choses changeraient, que tous ses contacts le haïraient plus ou moins. Lui qui aimait à penser qu'il était aimé au delà de ses choix. Mais on ne pouvait pas aimer dans un milieu comme celui de la criminalité: tout était question d'opportunités. Et si l'on pouvait ou devait écraser un ami pour s'enrichir, on le faisait. Et inconsciemment, Rhys l'avait fait comme tout le monde. Maintenant, il devait payer la monnaie de sa pièce. Et Vesper était une adversaire de taille, absolument merveilleuse dans son domaine. Et le sourire narquois que Rhys lui tendit rendait hommage à son exception. Avant qu'elle n'ouvre son clapet, assurément. Elle savait jouer du sarcasme elle et elle était douée. Encore une fois. Rhys lui répondit avec la même vergogne avant de l'ignorer royalement le nez dans son journal. En vérité, sa mâchoire se crispa lorsqu'elle ouvrit de nouveau la bouche. Cette femme ne s'arrêtait jamais.

Rhys releva son regard bleu translucide sur elle, fermant son journal avec une lenteur bien énervante. Il croisa même les bras, un sourire sincère bien affiché sur son visage. Il savait pertinemment qu'elle rouvait en lui une distraction maintenant qu'ils n'étaient plus du même milieu. Rhys avait bien conscience du danger de la situation d'ailleurs. L'un comme l'autre avaient plutôt intérêt à garder bien cachés leurs secrets. Et les voilà qu'ils s'amusaient à une joute verbale en plein milieu de l'après midi et devant un public. S'il voulait lui répondre, Rhys allait devoir utiliser la subtilité. "Ca tombe bien que tu me dises ça finalement. Je me rappelle vraiment pas de la déco... Tu peux m'apporter un plan quand tu veux que j'étudie la question, ce serait pas de refus. Je suis sûr que je pourrais trouver de quoi nourrir ma curiosité derrière tes murs." La provoquer n'était peut être pas la meilleure idée qu'il avait eu, encore moins utiliser une menace de délation mais ainsi, Rhys avait l'espoir qu'elle le laisse finir son thé qui refroidissait à vue d'oeil désormais. Raté. Vesper choisit de s'asseoir en face de lui, comme s'ils se comportaient comme deux amis qui ne s'étaient pas vus depuis une décennie. Cela allait vraiment devenir intéressant maintenant. "Ouh, fais attention Vesper, t'es en train de révéler au monde entier que tu me connais là. Je suis pas sûr que tes petits copains apprécient ce genre de fréquentations. Ah mais j'oubliais, tu es invincible et personne pourra te descendre de ton piédestal. Joli rêve." Et Rhys en savait quelque chose. Il préféra se terrer dans le silence cette fois, il en avait peut être trop dit. Mais, Hadley conservait cette amertume. Tout ce qui lui était arrivé, il l'avait cherché. Et si une once d'amitié résidait encore entre Vesper et sa personne, il était encore temps de la prévenir... Qu'un jour ou l'autre, elle perdrait tout. Qu'elle souffrirait, autant que lui.

All the way down.

Impitoyable cruauté. C’était bien ce qui définissait le lien morbide qui existait entre Rhys et Vesper. Cette jeune femme avait toujours eu le don de l’exaspérer tout en laissant de la place pour de l’admiration. La criminalité était un monde tellement mauvais : tout mourrait sur son passage. Même les êtres humains les plus coriaces. Pourtant, le travail des années ne semblait pas affecter la reine Vesper. Femme de caractère, elle avait fait sa place dans ce monde en se salissant les mains comme tout autre homme. Elle était forte, peut-être trop pour son propre bien d’ailleurs. Mais elle était en vie, régnait d’une main de fer sur son casino et rien ni personne ne semblait pouvoir la détourner de son objectif. Malgré les menaces, malgré le nombre d’ennemis qui finiraient tôt ou tard pour tenter un coup d’état contre elle, Vesper restait déterminée à détruire tout ce qui restait sur son passage. Et aujourd’hui, elle avait jeté son dévolu sur ce bon vieux Rhys. Après tout, ils se connaissaient depuis pas mal d’années et s’ils avaient collaboré à maintes reprises, cette période semblait bien révolue. Hadley avait plutôt dans l’intention de rentrer dans le moule, éviter les ennuis jusqu’à ce que les sondages lui apportent entière satisfaction. Il avait changé d’objectifs même s’il ne pouvait dire adieu à son passé. Vesper ne faisait que lui rappeler cette époque, celle où il se voulait impitoyable lui aussi, encore jeune, plein d’espoir et d’ambition pour l’avenir. Comme si faire sa vie en haut de l’échelle sociale de la criminalité pouvait lui apporter son rêve de gloire sans y laisser une égratignure. Rhys était stupide, entêté et prêt à tout pour subsister aux besoins de la fratrie Hadley. Aujourd’hui, il était temps qu’il prenne son destin en main et vive pour lui plutôt que pour des idéaux qui n’avaient plus lieu d’être dans son âme. Vesper ne voyait pas les choses sous cet angle apparemment. Malgré l’envie de Rhys de lui rabattre le caquet en proférant des menaces fantômes, la jeune blonde avait dans l’idée que ce serait plutôt à lui de laisser tomber le combat. Une simple phrase était en passe de faire frissonner le misérable politicien. Il avait conscience que Vesper était l’une de celles qui tiendrait ses menaces à exécution. Il ne valait mieux pas entre dans ce jeu dangereux même s’il pouvait être grandement passionnant. Rien que pour cela, Rhys se contenta d’une réponse des plus stéréotypés. « Nouvellement angélique ? Tu sais aussi bien que moi que j’ai toujours eu une tête d’ange voyons. Ne laisse pas ta fierté entraver ta vision, ma chère. » L’heure n’était certainement pas à l’humour mais c’était certainement la meilleure manière de se sortir de ce guêpier sans avoir trop souffert auparavant. Et bien évidemment, Rhys accompagna la parole par le geste avec un sourire digne du plus beau diable.

Et la joute verbale reprit de plus belle, cette fois, l’un en face de l’autre, des tasses de thé entre eux les empêchant de se sauter à la gorge. Cette fois, Vesper marquait un point. Rhys était éminemment connu dans son antre de casino. Il s’était montré tant de fois lorsqu’il n’était encore qu’un jeune perdu dans un monde bien trop risqué pour lui. Il s’était fait des amis éphémères et aujourd’hui, c’était une bataille sans merci qui se jouait contre eux. Son nouveau devoir était l’éradication de toute menace criminelle, lui-même ayant été de cette espèce. Quelle ironie du sort ! Et les mots de la jeune femme ne faisaient que rétablir la vérité dans son esprit, il avait encore une place de l’autre côté de la barrière, celle du mal. Il ne souhaitait plus la prendre, simplement la détruire. Rhys était prêt à tout pour cela, quoique l’on en dise et quoique l’on puisse lui faire pour déjouer ses nombreux tours. « Oh oui, ils me connaissent tellement bien que je suis encore en vie et qu’aucun d’entre eux n’a bougé le petit doigt pour empêcher un des leurs de devenir leur pire ennemi… Au fond, je n’ai jamais été l’un d’entre eux, Vesper. Simplement un pion de plus dans ton petit jeu. » Et Rhys avait décidé de prendre son envol, même si la jeune femme n’était toujours pas du même avis que lui. Elle insistait même sur le fait qu’il finirait par revenir vers eux, vers tous ces criminels. On ne quittait jamais ce monde, jamais totalement. Et peut-être qu’une partie de Rhys était encore à la violence et au mensonge mais elle ne se déclarait pas. Ce fut un sourire qui accueillit la remarque de Vesper, rien de plus que cela. Il ne doutait pas de ses paroles mais il doutait encore moins de lui-même. Hadley avait choisi son chemin et ne reviendrait en arrière pour rien au monde, il prendrait juste les avantages qu’il avait envie de prendre dans les deux mondes antagonistes… « Touchant. Mais crois-moi, même si je te manque désespérément, je ne suis pas prêt de rejoindre vos rangs à nouveau. Plus ou moins jamais d’ailleurs. On peut faire des marchés, ça c’est évident. Mais je ne lâcherais pas le morceau. J’ai travaillé d’arrache-pied pour en arriver là, aussi surprenant que cela puisse paraitre. Tu m’auras pas, Vesper. Et ce, malgré ta gueule d’ange. » Et Rhys était bien décidé à la laisser en plan soudainement, tous ces discours étaient futiles au fond et ils étaient tous deux en train de compromettre leur position en public. Désormais que son thé était terminé, il n’y avait plus grand-chose qui le retenait, si ce n’est cette distraction malsaine d’un dialogue tranchant…

All the way down.

Il y avait véritablement de quoi s’amuser lorsqu’on se trouvait en présence de Vesper. Ce qui paraissait si simple auparavant se retrouvait être à la pointe du complexe. Avoir été amis autrefois avait dû changer la donne à un certain point certainement. Il fallait avouer que ses moments au casino, Rhys s’en rappelait fort bien. Là bas, il y avait appris à devenir un bon criminel et peut être que c’était tous ces vils êtres qui l’avaient formé à devenir pire qu’eux. Un traitre. Un moins que rien. Un politicien corrompu. Pour le coup, il n’était pas certain ce qu’il devait faire : remercier la jeune blonde ou la haïr dix fois plus. Sûrement un mélange des deux. Après tout, il l’adorait avant que sa vie ne change du tout au tout. Lui, adorer Vesper, c’était le monde à l’envers lorsqu’était témoin de la scène dans ce salon de thé des plus conventionnels. Mais c’était la triste vérité. Il fut un temps où ils s’entendaient à merveille plutôt que d’être chat et chien, à empêcher l’autre de vivre tranquillement ou en tout cas de boire un thé bien chaud. Au fond, ils étaient de vrais criminels. Se foutre des règles. Des traditions. Juste continuer le combat, ne jamais s’arrêter sous prétexte qu’il y avait un public non averti autour d’eux. Et quel spectacle ! Vesper continuait ses tentatives pour déstabiliser Rhys, inconsciemment, elle devait y arriver un tant soit peu même si les réactions du conseiller n’en montraient rien. Imperturbable comme toujours, ses yeux bleus azurs et rieurs un brin provocants, Hadley était dans le coup. Il se passait en revue ses souvenirs de cette époque et il avait envie d’en rire. D’autant plus lorsque Vesper annonça la couleur : elle le considérait comme un ami avant le retournement de situation. Quelle ironie. Il n’y avait pas d’amitié dans ce monde, seulement des outils qu’on tentait d’anéantir lorsqu’ils n’avaient plus d’utilité. A quoi bon croire à des sottises pareilles ? S’ils avaient été, cela n’avait dû durer que le temps d’un clin d’oeil, tout au plus. Et la jeune femme surenchérit : Rhys voulait simplement oublier son problème de conscience. Certes, il ne se sentait pas toujours clean en vue de ce passé désastreux mais s’il devait culpabiliser pour tout ce qu’il avait commis, il serait déjà six pieds sous terre. Il ne regrettait véritablement qu’une seule chose : c’était l’emprisonnement de son meilleur ami, Lyam. Pour le reste, ce n’était que fioritures. Bien sûr, il n’était pas toujours heureux lorsqu’il devait accomplir un job d’homme de main ou martyriser un type pour une histoire de sous mais cela faisait partie du métier. Si l’on n’était pas capables de passer outre, on finissait dans la tombe ou avec une balle dans le crâne en moins de deux et Rhys avait toujours très bien supporté cette pression, jusqu’à preuve du contraire. « Mon problème de conscience te remercie de ta considération, t’inquiète pas pour ça. Nous amis ? T’as dû le rêver Vesper ! On s’entendait bien, c’est vrai, mais tu crois vraiment que gérer un business et une amitié c’est compatible ? Je ne pense pas tu vois… Tout ça, c’était que le boulot, rien de plus ! Et je n’ai trahi personne en soi… Si je t’avais trahi, toi et tes collègues, vous seriez en train de croupir en prison et c’est pas le cas. Je change juste de job c’est tout. » Et dans le fond, c’était la vérité. Rhys ne souhaitait pas mettre derrière les barreaux tous les criminels qu’il croisait, il préférait que ce soit seulement des gens qu’il n’avait jamais connus, question de principe… Et de survie également.

La question du regret venait d’entrer en jeu et Vesper était persuadé qu’il conservait cette idée en tête. Bien sûr que non. Rhys avait réfléchi avant de prendre cette décision et il ne pensait pas qu’il reviendrait là-dessus. Il était loin de tout cela désormais, il n’était plus prêt à faire le sale boulot pour quelqu’un d’autre, il avait déjà assez payé pour pouvoir faire partie de ce monde. Il n’y avait pas de retour en arrière, simplement des souvenirs et cela n’irait pas plus loin pour Hadley. « Je t’assure que tout ira pour le mieux de mon côté, t’en fais pas. Contente-toi de garder ton casino hors de l’eau. Des soupçons finiront par peser sur le bâtiment tôt ou tard et ça viendra pas de moi, crois-moi. Mais quelqu’un voudra t’avoir, sois en assuré. Alors, estime-toi heureuse que je sois dans le coup. » Et il fallait dire que cette menace pesait en effet. La chasse aux requins avait débuté dans les bureaux de la direction de la ville. Rhys se taisait, ne laissant rien paraitre de ses intentions après tout. Il ne faisait que relater des faits et espérait que cela provoquerait une quelconque réaction chez la blonde… Ou alors, il pourrait partir. Cela vaudrait mieux effectivement, maintenant qu’il avait terminé sa boisson et la lecture de son journal. Bien évidemment, Vesper capta son regard vers la porte et ne manqua pas une occasion de lui rappeler qu’il n’oserait pas se lever et la quitter ainsi, il aimait bien trop leurs petits moments. Rhys rit quelque peu, regardant de nouveau la jeune femme. « Oh oui, j’adore ça. Plus que tout. Qu’est-ce que je ferais sans tes menaces franchement ? Je m’ennuierais tellement. T’es incorrigible. »