✖ sympathy for the devil. (délai 31.05)

CHESTER'S MILL →
NOVEMBRE 2004.

Des nuages noirs s'amassaient au fond de l'horizon, semblables à des témoins funestes de l'enterrement. Destan s'employait à rester stable — mal rasé, ivre (pas assez cependant pour lui), et profondément fatigué de cette cérémonie qui n'en finissait pas. A sa droite : sa sœur, cinq ans de moins au compteur et les yeux rougies quant à elle par la tristesse ; tout comme sa mère, de l'autre côté. En face d'eux, une assemblée d'individus dont McAllistair ne connaissait pas le tiers de la moitié. Le prêtre prononçait des mots rassurants, confiants. « Le voilà désormais au paradis, apaisé et jetant sur l'ensemble des personnes ici présentes un regard tendre et sincère. » Destan s'accorda un bref répit, reculant de trois pas pour s'allumer une clope. Il aperçut à travers ses lunettes noires son oncle qui désapprouvait férocement son acte ; ostensiblement, il rangea son briquet en laissant bien en évidence son doigt d'honneur. « Maintenant, si vous voulez bien accomplir un dernier acte pour le repos de son âme, je vais demander à chacun d'entre vous de préserver son domicile éternel en le recouvrant d'une parcelle de terre. » Du riz pour les mariés, des morceaux granuleux de terre sale pour les morts pensa amèrement Destan qui observait sa mère émue mais tout de même capable de se baisser, d'enfourner dans sa main de la terre et de le jeter sur le cercueil. Sa fille l'imita, puis malgré le voile de l'ivresse, McAllistair comprit qu'il devait accomplir sa part pour le bien de l'enterrement de son paternel : il se présenta devant le trou, retirant sa paire de lunettes. Posant un genou à terre. En flashs, brefs et précis, lui revinrent le son de son corps projeté contre un mur. Des pansements appliqués par sa mère sur son visage, lui donnant perpétuellement l'air de sortir d'une rixe. La douleur qu'il avait ressenti aux cotes après avoir dévalé les escaliers du domicile familial, juste après un coup de pied bien placé de son père. Il possédait deux-trois cicatrices de cette période si douce de l'adolescence : accident de vélo, mauvaise chute, histoire amusante — son imagination avait été employé en premier lieu pour trouver des excuses à ses plaies, à ses marques. D'un revers du doigt, il projeta sa cigarette sur le cercueil de McAllistair père, ayant un sourire en coin en entendant des oh indignés dans l'assistance mais déjà il s'était relevé et s'écartait du cortège funébre pour retrouver sa bagnole. Il n'attendit cependant pas d'atteindre celle-ci pour sortir une flasque de l'intérieur de son haut, ingurgitant une lampée de vodka.


Il était en train de retirer les vêtements de son armoire pour les foutre dans un sac lorsque sa sœur débarqua, se calant sur le seuil : ne disant rien. Desten croisa son regard, continuant ce qu'il faisait après une poignée de secondes. Son crâne couvait une migraine de plus en plus atroce. « Pourquoi es-tu venu, Destan? » osa-t-elle enfin dire. « Pour m'assurer qu'il était bien mort, et voir ce qui m'était légué. » Maggie baissa les yeux et donna l'impression un bref instant de pouvoir se contenter d'une telle réponse. Elle ne respirait qu'à peine, ses gestes étaient quasiment inexistants — Destan la regardait une dernière fois avant de ne plus se soucier d'elle. Il avait beau "aimé" sa sœur, son seul souhait était de partir de cette maison maudite et de retrouver son antre où l'odeur de l'alcool l'apaiserait. « Tu es comme lui.» Un couteau planté juste au creux de ses reins, au-dessus des fesses, n'aurait pas pu lui faire plus de mal et il en laissa tomber le jean qu'il portait. « Pardo.. » « Regarde-toi, Destan, tu es à l'image même de notre père. Toujours ivre, sale, incapable d'éprouver le moindre sentiment. J'ai honte d'être ta sœur. Sors de cette maison, maintenant. » Sors, sors, sors. Le mot brûla ses organes à l'acide. Il balança le sac avec ses affaires et s'avança rapidement vers Maggie, la plaquant contre un mur. « VAS-Y, FRAPPE-MOI : TU EN MEURS D'ENVIE. FRAPPE-MOI DESTAN. » Ses yeux braqués sur ceux de Maggie, la respiration haletante, les poings fermés, McAllistair était en passe de la cogner. Par le passé, il avait toujours veillé à se retrouver entre son père et sa sœur : prenant double ration certains jours. Et maintenant, il était devenu le monstre. Un miroir, dans l'angle de la pièce, lui renvoya l'image : et il sentit les mains fines mais fermes de Maggie qui le repoussa, l'envoyant s'asseoir sur le rebord du lit alors qu'il était toujours aussi sonné. Le silence dura — une, deux, trois minutes. « J'ai besoin d'aide. » C'était à peine un souffle, un murmure, mais elle l'entendit.

BOSTON →
JANVIER 2007.

Vesper retomba sur lui, essoufflée et transie par le plaisir qui la faisait légèrement trembler. Destan récupéra la couverture et la remonta pour couvrir leurs deux corps encore reliés, déposant un baiser sur l'une des joues de la blonde qui s'avisa de la manœuvre et tourna son visage pour piéger la bouche de McAllistair avec la sienne. Dehors, le son de la pluie et de l'orage continuait à servir de toile de fond. Vesper descendit d'un étage l'action de ses lèvres, épousant la douceur du torse masculin avant de simplement s'en servir comme oreiller. « Tu dois m'oublier, tu sais. » « Je sais.» Elle remua un peu des reins, souriant de l'effet produit sur son étalon qui se crispa. « A quoi tu penses? » Finalement, elle s'était à nouveau relevée et ses cheveux tombaient, caressant le visage d'un Destan aux abois. « Que j'ai eu ma chance avec toi, et que je l'ai gâché.» Un coup de tonnerre plus sourd que les autres en vint à retentir, faisant sursauter Destan qui tomba du lit. C'est davantage la surprise du choc que le choc en lui-même qui lui coupa la respiration et en vint à retarder son retour sur le sol ferme avec ses pieds. Les draps étaient froissés et cette fois-ci il ne s'attarda pas à chercher naïvement Vesper, on était en 2007, la blonde ne partageait plus le lit conjugal depuis déjà bien des années. N'en restait pas moins qu'il était chaud, brûlant, une fièvre sexuelle qu'il alla tuer sous une douche froide pour finalement après allumer la lumière dans son atelier et se placer devant l'une de ses toiles. Il referma la ceinture de son peignoir — alluma une clope — s'empara d'un pinceau.

NEW-YORK →
JUILLET 2010.

« .. les premières informations communiquées par la police semblent indiquées qu'un des tableaux présentés à Agora Gallery soit un faux. L'exposition, consacrée à plusieurs artistes du siècle dernier, s'était dotée d'une aura de publicité conséquente avec la présence d'œuvres célèbres et entachée désormais par cet incident qui aurait pu presque passer inaperçu sans qu'un des convives ne détecte une légère erreur dans la reproduction de l'œuvre d'art. L'affaire aurait pu se clore très facilement et rapidement si le tableau n'avait pas déjà trouvé preneur (à la hauteur de plusieurs milliers de dollars indique une de nos sources) ou que le possesseur du tableau ne soit pas introuvable. La police a mis en place des moyens conséquents mais la piste criminelle sera difficilement à remonter tant le travail a été commis par un expert semble-t-il. L'un des enquêteurs nous a déclaré en privé que plusieurs analyses et tests sont encore menés pour déterminer formellement qu'il s'agisse bien d'un faux tant le doute est encore permis. »

New-York Times

HEAVYBROOK →
MAI 2013.


Les mauvaises idées sont des maîtresses exigeantes — n'acceptant pas le refus. Destan, sans être millionnaire, pouvait se permettre de mener une vie oisive à peu près où il le convoitait mais il sélectionna Heavybrook. Son choix était foncièrement mauvais mais personne de son entourage (quasi-inexistant) ne pouvait le concevoir tant il avait tu l'existence de son passé et de la femme qui émergeait de chacun de ses souvenirs confus. Il débarqua en tremblant, comme en manque d'alcool, et s'installa dans un hôtel en étant toujours autant incertain de l'issue de ses actes. Auparavant, il s'était renseigné et cela n'avait fait que s'accroître ses soupçons — à la différence près qu'il ne s'attendait pas à souffrir comme s'il digérait des morceaux de verre brisé. Elle était mariée, menait une vie prestigieuse et était dès lors très loin de la jeune femme amoureuse et jeune dont il avait pu partagé l'existence quelques années. C'était inutile, elle l'avait au mieux oublié, au pire placé dans la partie de son cœur la plus noire en vue de le tuer si elle en avait l'occasion un jour. Après avoir pris un bain et y être resté plus d'une heure, il commença à faire les cent pas dans sa chambre tout en retournant dans tous les sens le problème, ce qu'il voulait, ce qu'il devait faire. Aucune solution évidente ne s'extirpa de ce brainstorming, juste une migraine. Il pouvait encore fuir mais Destan eut confirmation que son achat d'un local en ville était validé et que son matériel y serait très bientôt livré. Sa vie à Heavybrook s'imposait même si cela impliquait de la voir s'y clore, et il eut cette vérité après avoir fait tombé son porte-feuilles. Il n'avait retrouvé qu'une seule photo de Vesper et lui, quelques semaines après le premier baiser, le premier rapport sexuel, leur colocation. A cette époque-là, la maladie de l'alcool ne s'était pas déclaré pleinement et elle souriait encore tout en le laissant l'embrasser dans le cou. Faible, ce fut sa sensation tant et si bien qu'il tomba à genoux, contemplant par la photographie un monde qu'il regrettait, qu'il convoitait. Un monde où il était plus jeune et où aucune erreur n'avait encore été commise. Il voulait tirer le Destan de la pellicule, le laisser dans cette chambre d'hôtel et prendre sa place. A défaut, il devait se contenter du silence et espérer que des jours meilleurs panseraient les plaies qui se greffaient sans cesse à son âme.