du poker, de l'alcool et tes écrits. | (s.)

TU DOIS TE SOUVENIR QUE TA VIE ÉTAIT UNE VRAIE INSPIRATION.
~ SEVEN & VESPER.
Vesper leva les yeux au ciel avec agacement. Ses doigts tapotaient nerveusement la table de poker sur laquelle elle était appuyée. Les cartes qu'elle avait en main n'annonçaient rien de bon, alors qu'elle avait misé une grande quantité d'argent. Et cet adversaire qui lorgnait sur elle, arborant un sourire béat d'être stupide et heureusement incompris l'agaçait au plus haut point. Elle savait qu'il allait gagner le Jackpot, et même bluffer ne servirait plus à rien dans de telles circonstances. Furieuse, elle jeta ses cartes sur la table, se couchant par la même occasion, et permettant à l'autre imbécile d'empocher l'argent. Il fallait vraiment qu'elle arrête de jouer...

« La même chose que d'habitude, double dose de whisky. » lança-t-elle au barman, alors qu'elle s'asseyait sur un des haut tabourets à sa disposition. Au Nelson, plus personne ne se formalisait de la présence d'une des patronnes en compagnie des clients : tous avaient parfaitement intégré que si Vesper avait fondé ce casino, c'était aussi en partie car elle était atteinte de la maladie du jeu. La jeune femme jeta un regard attendrissant en direction de celui qu'elle avait embauché bien involontairement comme barman. Alors qu'elle souffrait d'un avis très mitigé sur lui lors de ses premiers essais, il s'était vite avéré qu'elle n'aurait pu trouver homme plus compétent. Sur de lui, doué de ses dix doigts, il menait d'une main de maître ce bar et ses cocktails étaient toujours plus succulents les uns que les autres. Jamais Seven n'avait commis d'erreur, et Vesper ne s'en était jamais plainte. Mieux encore, elle avait fini par l'apprécier, lui octroyant une attention que peu d'êtres humains sur cette Terre pouvaient s'attirer de miss Saadi, épouse Nelson. Il était difficile de trouver patronne plus exigeante, et pourtant, il avait fini par se la mettre dans la poche, à l'aide de son travail exemplaire et de ses mots couchés sur le papier. « Alors, est-ce que tu as d'autres travaux à me soumettre ? Je commence à être en manque de tes écrits, très cher. » Vesper ne s'intéressait que rarement au monde qui n'était pas son petit cocon idyllique qu'elle avait crée de toute pièce avec son cher et tendre époux. Mais lorsqu'elle le faisait, c'était comme tout ce qu'elle entreprenait : sans restriction, et avec une passion non mesurée. Ce qu'elle avait lu de Seven l'avait touchée au plus profond d'elle même, ses mots emprunts d'une réelle poésie, tracés dans un style reconnaissable entre mille. Seven avait tout ce qu'il fallait pour être un écrivain excellent, et sa présence la rendait quelque peu nostalgique. Avec lui, la belle blonde se replongeait dans les méandres de son passé, dans ses rêves de gosse. Elle qui, petite, n'avait d'autre aspiration que d'éditer un livre et de voir son petit bébé s'envoler hors du nid pour gravir les échelons du succès. Finalement, elle avait rencontré Wren, et alors rien d'autre n'avait plus eu d'importance que leur amour et leur business. Vesper aimait sa vie, sincèrement, et ne l'aurait échangée pour rien au monde. Mais un petit coin de son cœur, reculé et aride, n'oubliait pas tous ses rêves d'enfants, tous ses espoirs déçus et ses aspirations inachevées. C'était cela qu'elle lisait dans les prunelles de Seven.

Le bruit d'un verre posé devant elle la força à retrouver pied avec la réalité. Elle était là, assise dans son casino, arborant une superbe robe d'un rouge étincelant, une parure valant des centaines de dollars, sirotant un bon whisky. Elle n'avait pas le droit de songer à la vie qu'elle aurait pu avoir, puisque celle qu'elle s'était façonnée valait bien mieux. « Le gros bonhomme là-bas, assis à la table de poker et habillé en jaune poussin, tu le vois ? Il m'a plumée, ce salaud. Alors, je crois que pour oublier ma rancœur, il me faudra encore plusieurs verres. Je risque de rester là à t'embêter pendant quelques heures encore. » lâcha-t-elle avec humour, incapable de s'empêcher d'arborer un sourire brisé.

J'ai parfois l'impression que tout ce qui m'entoure m'échappe entièrement... lorsque je suis dans le confort de mon petit studio avec mon joint et mon calepin là alors je vis, mais en dehors de mon cercle là tout semble déraper. Je suppose que je n'ai pas à me plaindre, à défaut d'être un écrivain raté, j'ai un job, je ne meurs pas de faim, et j'ai des amis qui m'inspirent à chaque seconde, que demander de plus ? Je n'ai jamais vécu dans un environnement très sain, je côtoies toujours la rue, les mauvais plans, à croire que cela est inné chez moi, à dire je crois surtout que je me fourre dans des histoires pas possible afin de vivre, d'avoir le sentiment de ne pas toucher terre, cette poussée d'adrénaline alors que vous ne savez pas ce qui peut se passer, voilà la vrai vie. Je suis de ceux qui prévoient toutes les variables, sans vraiment le vouloir, perdre le contrôle est alors d'autant plus délectable.

« Regarde, elle a encore sorti le grand jeu... elle se prend vraiment pour une reine. » Je relevais les yeux du cocktail que je venais à peine de terminer, suivant le regard du serveur en direction de ma patronne, oui elle se prenait sans doute pour une reine, mais elle le pouvait, chacun avait les yeux sur elle, d'envie ou de jalousie, peu importe, elle imposait un silence religieux. « Ferme là, et prends ça. » Je n'avais aucun respect pour ce mec, sans doute parce que je n'acceptais pas ce type de réflexion, j'avais très certainement beaucoup trop de respect et de gratitude envers elle pour accepter qu'on parle ainsi. Quand à lui je m'en occuperais plus tard. Les commandes défilaient, les visages également, je jetais quelques regards autour de moi, fasciné de voir le même ballet, encore et encore, de riches hommes avec un embonpoint marqué pensant être des dieux dans un tel environnement, des femmes guindées dans des robes trop petites mais de couturiers, des envieux, des tas de personnes superficielles, de la matière littéraire à l'état brute.

« La même chose que d'habitude, double dose de whisky. » Sa voix me ramenait sur terre, et je la regardais, accoudée avec grâce contre le bar, sa robe rouge lui donnait ce côté inaccessible qui la caractérisait toujours, son sourire narquois me laissait pensé qu'elle avait du ressentiment, mais je n'aurais su dire pourquoi. Je pris un verre derrière le bar, la servant distraitement alors qu'une autre commande arrivait. J'enchainais les verres, ne détachant pas mon attention d'elle. J'aurais pu lui dire qu'elle abusait du whisky, une femme comme elle devrait boire du vin blanc, ou quelque chose de plus raffiné en tout cas, ça je le gardais pour moi, je connaissais par avance la réponse à laquelle j'aurais eu droit. « Alors, est-ce que tu as d'autres travaux à me soumettre ? Je commence à être en manque de tes écrits, très cher. » Je souris, ne la regardant pas dans les yeux alors que je posais son verre sur le bar. Je me demandais parfois si beaucoup de personnes dans notre monde avait la chance de connaitre cette Vesper, celle que je voyais. « Je vais te décevoir malheureusement... je suis complètement bloqué, à croire que je devrais abandonner, peut être que ce rêve là doit disparaitre pour que j'en trouve un autre. » Je souriais, levant enfin les yeux vers elle, elle était éblouissante comme toujours.

« Le gros bonhomme là-bas, assis à la table de poker et habillé en jaune poussin, tu le vois ? Il m'a plumée, ce salaud. Alors, je crois que pour oublier ma rancœur, il me faudra encore plusieurs verres. Je risque de rester là à t'embêter pendant quelques heures encore. » Voici donc la raison de ce ressentiment, je ne pus m'empêcher de rire légèrement, détaillant l'homme en question. « Tu ne m'embête jamais et tu le sais, mais si je peux me permettre un conseil, arrête de jouer au poker, essaie un autre jeu. » Beaucoup aurait sans doute apprécier de prendre un verre en compagnie de Vesper, dans mon cas j'appréciais d'autant plus le fait qu'il y ai cette barrière invisible entre nous, elle buvait, ayant une conversation avec un petit barman fauché et pas si doué que ça, moi j'étais le gars qu'on prend souvent pour un psy, je l'écoutais, je buvais simplement ses paroles, elle a cette capacité de voir clair, de voir au plus profond des gens, et si cela m'effraie parfois je sais que je n'ai rien à craindre d'elle, aucun jugement, une franchise sans complexe, sans doute ce dont j'ai le plus besoin pour redescendre de ma bulle d'illusions.

TU DOIS TE SOUVENIR QUE TA VIE ÉTAIT UNE VRAIE INSPIRATION.
~ SEVEN & VESPER.
Vesper ignorait si Seven faisait juste preuve d'un manque ahurissant de confiance en lui ou -plus grave encore- d'une lacune de courage désopilante. Il refusait d'affronter la réalité de ses rêves, sa folie des grandeurs. Tout abandonner au moindre problème semblait être pour lui plus aisé que de se battre jusqu'au bout pour faire quelque chose de sa vie. Une attitude qui exaspérait la jolie blonde, ne partageant certainement pas la même vision de l'existence. Elle avait, elle aussi, choisi le chemin de la lâcheté dans le passé, et le regrettait aujourd'hui amèrement. Il n'y avait pas pire erreur que de sombrer en bas de cette pente glissante sans même tenter de la remonter. Et pourtant, elle sentait en Seven qu'il pourrait, un jour ou l'autre, commettre la même erreur et ce sans même s'en rendre compte. Une tragédie que Vesper voulait absolument éviter, du haut de ses talons hauts et sa fragilité de femme, à l'aide des maigres moyens qu'elle avait en sa possession : son habileté à motiver les autres, et son réel intérêt pour ses écrits. C'était déjà mieux que rien... « Je vais te décevoir malheureusement... je suis complètement bloqué, à croire que je devrais abandonner, peut être que ce rêve là doit disparaitre pour que j'en trouve un autre. » Encore une fois, Seven ne faisait que confirmer ses pensées et doubler ses craintes. Peut-être voyait-elle en lui un moyen efficace de réparer les erreurs de son passé, ou peut-être n'agissait-elle que pour le bien-être de cet homme qu'elle avait fini par apprécier, mais quel qu’en fut la véritable raison, le but demeurait bel et bien le même : le forcer à achever ce roman qui promettait des merveilles, et le mener vers le succès. Ainsi, il pourrait ranger son attirail de barman et ses cocktails pour signer des autographes et hanter les plateaux télé. Seven le méritait bien.

Loin de lui répondre, Vesper préféra opter pour un terrain neutre, plutôt que de lancer les hostilités aussi tôt dans la soirée. Lui faire part de sa nullité de la soirée au poker était tant un moyen de détendre une atmosphère qui n'aurait pas tardé à virer à l'agacement du côté de la demoiselle, que de lui faire comprendre qu'il pouvait parler et se livrer : elle était prête à l'écouter pendant encore un bon moment. S'il ne parvenait plus à écrire, alors elle deviendrait psychologue pour tâcher d'en discerner la cause. S'il cherchait une source d'inspiration, alors elle se ferait muse pour lui permettre de rajouter quelques lignes à ses écrits. Quoi qu'il cherche, elle serait là, protectrice et maternelle envers l’œuvre auquel Seven donnerait naissance et envers lui. « Tu ne m'embête jamais et tu le sais, mais si je peux me permettre un conseil, arrête de jouer au poker, essaie un autre jeu. » Amusée, Vesper laissa un sourire illuminer son visage et étirer ses lèvres. Sa réponse ne se fit pas attendre. « Déjà essayé. Je suis bien meilleure au poker qu'à tous les autres jeux. T'imagines un peu le carnage !? » lâcha-t-elle avec humour. En réalité, Vesper était une bonne joueuse mais une excellente malchanceuse. Sa force résidait en l'observation. Elle passait le plus clair de son temps à détailler les autres joueurs, et non ses cartes, et savait la plupart du temps s'ils bluffaient ou non. Néanmoins, elle même n'était pas très douée à cet exercice de comédienne, et surtout, la chance n'était que rarement de son côté. Elle avait beau démasquer les autres, elle ne pouvait aller bien loin sans cartes adéquates. « Et tu as raison, abandonne, le rêve que tu vis présentement est tellement mieux. Barman talentueux accompagné d'une femme magnifique aux multiples talents. Pourquoi donc chercher à faire quelque chose de sa vie, quand tout peut demeurer ainsi ? » Vesper lui sourit, avant de lever son verre face à son visage et d'en boire quelques gorgées supplémentaires. Son regard se perdit en direction de la table où se jouait la roulette, mais elle n'en oublia pas l'essentiel : Seven était là, et il avait besoin d'elle. Le motiver, le pousser à avancer. Cela seul était un des objectifs de la jolie blonde, et elle n'abandonnait jamais avant d'être parvenue à son but, que ce soit dans les affaires ou dans la vie. Elle refusait que cet homme devienne son premier échec. Alors, il ne le serait pas.